Lili, artiste résidente du Fort Superposition, se prête au jeu de l’interview pour nous parler de ses inspirations puisées dans son quotidien, de la côte hondurienne où elle a grandit et de piñata.
Quand as-tu commencé à créer et où ?
J’ai commencé à créer en 2015 chez moi à Lyon (France).
Quel a été l’élément déclencheur te donnant envie de créer ?
Tout simplement parce que j’avais envie de créer, de faire des choses de mes mains. J’avais fait des études de commerce et de droit, je ne m’y retrouvais plus dedans et j’avais vraiment l’impression de passer à côté de quelque chose. J’avais l’impression qu’il y avait quelque chose qui me manquait. J me suis dit allez, je vais commencer à créer.
As-tu toujours eu la fibre artistique ?
Non, pas vraiment. J’avais fait une école de musique quand j’étais gamine. La fibre artistique ? Non, mais peut-être une sensibilité à l’art, oui. Je fais de la percussion bahianaise, c’est une percussion afro brésilienne reggae. Ensuite, j’ai commencé à créer parce qu’il y a eu un déclic, j’avais une envie d’extérioriser, de parler de certaines choses en les retranscrivant de différentes manières en commençant par la sculpture. Après, j’ai commencé à dessiner. Ensuite à prendre un pinceau. Chaque fois, c’était une étape d’apprentissage et aussi de libération.
Je sentais que j’avais besoin de m’exprimer parce qu’il y avait beaucoup de colère en moi. J’avais beaucoup de nostalgie aussi par rapport à mes origines, à mon pays – Le Honduras. J’avais vraiment besoin de raconter des histoires.
Pour moi, la peinture, ça fait partie de cette philosophie de vie, c’est à dire que je n’ai pas peur de montrer ce que je suis.
Lili
Jamais je n’avais jamais touché un stylo, un crayon, un pot de peinture, un pinceau. Après, j’ai compris de part ma famille de sportifs, que ça ne vient pas tout seul. Il faut travailler sa technique et y mettre du sien. Et puis, ça a aussi été un changement de mode de vie : ma manière de m’alimenter, ma manière de consommer. C’était vraiment une démarche absolu. La peinture a été quelque chose qui est venue en même temps parce que je me disais j’ai envie de vivre différemment et de créer. Ça faisait partie de cette nouvelle vie que j’avais envie d’avoir. J’avais envie de me réinventer, comme un nouveau départ.
Si tu pouvais définir ton style ?
On peut dire que c’est de l’art brut, car il n’y a pas vraiment une technique précise, c’est vraiment de l’expression pure. Pour moi, la technique, ça s’apprend.
Dans chacun de mes tableaux, il y a un élément qui fait partie de ma vie. Je suis partie de quelques éléments qui étaient important pour moi dans ma vie, à savoir la mer. J’ai grandi sur la côte hondurienne, au bord de la mer des Caraïbes, avec plein de soleil. Mais il y a également une dualité avec une partie sombre de ma vie, qui est représenté par les couleurs claires et obscures, ciel foncé ou clair par exemple.

Quel(s) sont tes sujets de prédilection ?
Mes sujets de prédilection, sans trop le vouloir et par rapport à mon expérience, sont des sujets qui touchent à la politique mais aussi à la maternité et la sexualité. Je parle aussi de la drogue, du sang et de la violence de mon pays qui sont représentés par des rayures rouges et blanches. Tandis que le blanc représente la paix, que j’aimerai avoir au Honduras. Même si je ne veux pas avoir de discours engagé, le mieux c’est de le peindre. C’est hyper délicat de parler de politique, je veux juste parler de ce que je ressens.
Après le sexe, c’est pareil. Je joue beaucoup avec la sexualité dans mes tableaux en mettant des formes sexuelles, comme des érections. Certains éléments sont cachés d’autres non. Dans l’un de mes tableaux il y a la Vierge et le Diable qui la regarde en bandant. Mais il n’y a que moi qui le voit. C’est ma petite vengeance personnelle car chez moi le sexe est un sujet tabou – et pas que chez moi je pense -.
La religion est aussi un sujet avec lequel je m’amuse beaucoup. Parce que j’étais dedans depuis petite. J’ai grandi dans une religion catholique et à une période de ma vie je suis tombée dans la religion évangélique. Donc là, tu passes à un univers complètement dingue. J’ai appris énormément de choses et du coup, maintenant, j’ai appris à quel point on était manipulé. J’ai donc essayé de jouer avec ça aussi. Je me moque ? Oui et non car j’ai énormément de respect pour les gens de mon pays et la culture chez nous. Je donne juste de l’importance à un sujet précis et je le traite de manière satirique. C’est important pour moi d’avoir cette vision pour pouvoir ensuite réaliser un tableau. Il faut que le tableau ait du sens.
Quelles sont tes inspirations artistiques ?
Picasso ! Lorsque j’ai commencé à faire mes dessins, je suis tombée par hasard sur un article de lui. Avant, je faisais des sculptures et il y avait un œil qui ressemblait beaucoup à l’un de ces tableaux. J’aime beaucoup ce qu’il fait mais ce n’est pas forcément une inspiration.
On pourrait également citer Miro pour ses couleurs, ou Gaudi pour sa folie. La peinture m’intéresse beaucoup plus par rapport aux personnes que leur propre peinture. Les impressionnistes m’ont beaucoup touchés parce que c’est de la délicatesse. Ça n’a pas forcément inspiré mon art.
Je viens d’un pays où la culture est peu existante. Même si tu as un niveau d’éducation élevé, les gens sont peu cultivés. Quand je suis arrivée en France, je voulais que mes filles grandissent dans un environnement où la culture soit plus présente. Et c’est à ce moment là que j’ai commencé à visiter des musées.
Avec le temps, les gens ont commencé à me dire que mon art se rapprochait de Niki Saint Phalle.
Après la seule inspiration que je peux avoir d’une artiste, c’est Frida Kahlo. Mais plutôt par rapport à son caractère, sa vie, le fait d’être une femme artiste, mais pas spécialement de ses tableaux.

Tu fais du papier mâché, des silhouettes en bois, d’où est venue l’idée d’utiliser d’autres médiums que la toile ?
Le point de départ : lorsque j’avais envie de créer, que j’étais déprimée, que je n’avais pas de thune. J’avais envie de faire des choses mais c’était trop cher ! J’ai donc essayé de faire de la récup’ pour mes sculptures en papier mâché. Pourquoi le papier mâché ? Car ça vient de la technique des piñatas chez nous en Honduras. Mais le fil de fer coûtait cher, donc je l’ai remplacé par du plastique et du carton et d’autres matériaux de récupération.
Ensuite en France, j’ai eu l’occasion de participer à différents événements avec mes sculptures. Et en arrivant ici, ça m’a ouvert les yeux sur plein de merdes, comme la violence. Une fois j’avais fait une piñata pour mon fils, et les gamins l’ont explosée en 2 secondes. Ils étaient comment des dingues à taper la piñata. On ne pouvait même pas les maîtriser. Je me suis dit mais, c’est super violent en fait ! C’est là où je me suis aperçue que dans mon pays, ma culture, on nous avait inculqué un truc qui était vachement violent et que la violence était devenue quelque chose de très naturel. Parce que si aujourd’hui, je ne suis pas dans mon pays, c’est parce que c’est un pays violent. J’ai fui ça et du coup, je me suis dit je ne vais pas continuer. C’est une tradition. Ok très bien, mais je ne veux pas la continuer. Et du coup, c’est à ce moment là que j’ai essayé de transmettre un message en faisant mes sculptures, en disant « on va les faire, mais on ne va pas les casser. »
Cette technique là, elle a évolué petit à petit. Et c’est quand je suis venue au Fort Superposition parmi tous les autres artistes résidents, que j’avais envie d’aller plus loin dans la démarche et de me mettre des défis. C’est devenu quelque chose de plus structuré. L’année que j’ai passé ici, a été une vraie année de formation ! J’ai gagné énormément parce que j’ai appris beaucoup de choses.
Les sculptures en bois, c’était durant le confinement. Lorsque je partais me balader dans les bois je ramassais les branches sèches tristement laissées par terre pour les peindre chez moi et les remettre dans la nature pour apporter un peu de couleurs. Je me suis aperçue que certains branches avaient des formes de danseurs, d’où leur représentation finale. Ils n’ont pas de visage car je me suis dit maintenant avec nos masques on ne nous voit plus.
J’aime bien faire de la peinture, mais j’aime bien découvrir d’autres choses. Et quand je fais de la peinture longtemps, j’ai l’impression d’être dans un monde fermé, dans mes histoires. Donc je teste !
© Lili © Lili
Quel est ton tic artistique ?
« Elle commence mais elle a dû mal à finir. Mais elle finit par finir » selon Julie en atelier avec Lili. ( Vous pouvez d’ailleurs découvrir le super travail de Julie, artisan tapissière, juste ici.)
Parle nous de ta dernière fresque que tu as réalisé au Fort Superposition dans le cadre des Journées Européennes du Patrimoine ?
C’est une fresque que j’ai dédié à mes enfants. J’ai pensé à trois pommes, parce que c’est mes petits pommes et à l’intérieur 3 fœtus représentant mes trois grossesses. Il y a aussi un vers qui traverse les pommes. À la fin, ce vers est content d’avoir eu trois pommes : c’est moi.
C’est la plus grosse fresque que j’ai faite et ça me donne envie d’en faire plus !

Ce qui m’a intéressé avec Superposition, c’est le côté accessible de l’art.
Lili
Merci à Lili pour cet interview au Fort Superposition à Lyon.