Rencontre avec Tarek, entre peintures, bandes dessinées et graffiti

Rencontre avec Tarek, artiste peintre et auteur de bandes dessinées, à l’origine de Paris Tonkar. Focus sur son parcours artistiques, son intérêt pour le Pop Art et sur une multitude de choses qui composent ses expériences riches et nombreuses, entre graffiti, peinture sur toile et BD.

Bonjour Tarek ! Tu as un parcours artistique très fourni. Quelles ont été les expériences qui t’ont fait le plus progresser ?

Les expériences de vie et artistiques sont les deux éléments qui font progresser ma vision et ma pratique, que ce soit dans la peinture ou la bande dessinée. J’ai toujours eu envie de faire ce que je fais mais la vie peut parfois jouer de drôles de partitions à votre place. J’ai emprunté parfois des chemins de traverses (rires)… pour arriver à mes fins. L’écriture de mon livre Paris Tonkar est certainement l’expérience la plus marquante dans ma vie d’artiste-auteur. C’est le point d’origine !

L’écriture, la peinture, le dessin, la photographie, la presse, le muralisme… Bref, ma vie artistique est devenue réelle à la suite de la publication de ce livre. Etonnamment, ce n’est ni son succès en librairies ni sa large diffusion dans le monde entier (17 pays) qui ont contribué à ce que je suis devenu par la suite mais c’est la partie la plus sombre de cette expérience qui a été déterminante. J’entends par là les choses que j’ai dû vivre sans y être préparé, je dirais même subir : la pression médiatique, certains médias qui voulaient m’utiliser pour décrédibiliser le graffiti qui avait une mauvaise réputation à la fin des années 80, l’attitude pour le moins étrange de Romain Pillement (le co-éditeur du livre et marchand d’art) qui m’a utilisé pour monter la première exposition graffiti à Paris pour m’en exclure aussitôt et qui croyait que j’avais de l’herbe sur moi pour lui (arabe = dealer) ; les soucis financiers liés à la réalisation du livre (la photographie avait un autre coût à cette époque)… Et la liste est encore bien longue ! Florent Massot, le véritable éditeur, a été un homme d’une droiture sans faille et un véritable mentor durant cette période. J’ai beaucoup appris de lui et je l’en remercie… Des autres, j’ai appris que le monde était gris et que le costume ne faisait ni l’homme ni la femme.

Autre chose que je voulais dire… De nos jours, la discrimination est présente de manière très sournoise dans les milieux artistiques et culturels mais, dans les années 90, elle s’affichait à visage découvert comme si la personne qui la subissait ne le remarquait pas. J’ai subi celle-ci à la sortie de mon livre puis au Centre culturel français de Damas de la part de certains Français de l’ambassade mais son excellence l’ambassadeur et le premier conseiller me protégeaient parce qu’ils étaient des hommes de valeur comme on en croise parfois dans sa vie… bien heureusement ! Et lors de mes premiers contacts avec le monde de la BD, l’éditeur de Vents d’ouest et son directeur artistique me proposent de faire une BD sur la cité alors que je leur proposais une BD sur Baudelaire (arabe = racaille)…

Peinture de Tarek · 2020

Ces expériences de vie m’ont appris à choisir avec qui travailler et me méfier de tout en permanence : quand tu es issu de l’immigration (bien que né en France) et Français, le système de domination bourgeois qui considère la Culture comme son pré carré n’apprécie pas de voir des éléments exogènes prendre part à la création et « prendre la place de quelqu’un qui le mérite ». Cette manière de diriger la Culture dans les instances publiques et privées est systémique et on ne s’en aperçoit très vite que lorsque l’on subit cela : il y a un plafond de verre qu’il est difficile de briser (du moins, on te le fait comprendre assez vite).

Je ne suis pas en train de me plaindre mais c’est une simple constatation : ce n’est pas la réussite d’une petite poignée d’individus qui doit masquer cette profonde injustice. Il est plus facile pour un artiste né à l’étranger et s’installant en France d’être accepté qu’un Français issu de l’immigration d’avoir droit au chapitre… Tout cela je l’ai compris à l’âge de 20 ans et je l’avais en permanence dans un coin de mon esprit.

Bien heureusement, les mentalités ont « un peu » évolué et la plupart des artistes-auteurs sont des personnes ouvertes et tolérantes. Pour le coup, les expériences qui ont été des marqueurs importants dans mon parcours et qui m’ont fait progresser sont assez peu nombreuses : mon premier livre en 1991 puis ma participation à « Paris graffiti » (exposition collective en 1992), ma première exposition photo en 1996 au Centre culturel français de Damas, ensuite ma première bande dessinée en 2000 et enfin ma première exposition à New York en 2014… Ces moments ont été des tremplins vers des horizons plus élargis…

Le plafond de verre saute quand je commence à exposer aux Etats-Unis puis au Canada car une partie des élites françaises (et dans la Culture c’est sûrement une grande majorité) est en admiration totale pour tout ce qui touche à cette partie du monde. Je me sens proche de New York qui est la ville où je me sens libre : personne ne me demande de quelle origine je suis et on ne m’y juge que sur ce que je fais.

Mon expérience avec Superposition est unique (et je tiens à en parler une fois encore) : participer à un projet artistique global et ouvert sur le monde en compagnie d’une équipe toujours aussi motivée est important pour moi. Cette collaboration me procure des sensations artistiques et des défis à relever qui ont certainement modifié ma manière de peindre. La résidence lors de « One shot » est un marqueur important aussi. Semper fidelis !

Tu as visité plusieurs villes, certaines t’ont influencé ?

La plupart des villes où je me suis rendu ont eu une influence sur mon travail. Paris, ma ville natale, a été le berceau de mon apprentissage à l’art avec le Louvre et tous les autres musées que l’on trouve dans cette ville fantastique. Tunis et Damas sont également deux villes importantes pour moi : l’art est partout présent dans l’architecture, dans la lumière et bien entendu dans les musées qui regroupent des collections fabuleuses. Berlin, Londres et New York : Que dire, si ce n’est que les collections de peinture dans ces trois villes sont exceptionnelles ! Enfin Athènes et Rome ont une place à part parce qu’elles sont les berceaux d’une forme d’esthétisme qui me touche. Et la lumière y est là aussi très particulière.

Fresque de Tarek et ses fameux masques zoomorphiques

Comment es tu passé de la rue aux galeries, tout en faisant encore maintenant les deux à la fois ?

Je suis passé de la rue à la galerie par la case Paris Tonkar. Dans la rue, je ne faisais rien d’artistique mais de la « dégradation » d’un point de vue pénal (le tag est toujours considéré comme tel). L’écriture de mon livre m’a obligé à ne prendre aucun risque pour éviter de subir des poursuites judiciaires, qui finalement m’ont rattrapé… La rue n’est qu’une étape dans mon évolution tout comme la galerie n’est pas forcément une finalité pour moi : c’est en 1992, avec « Paris graffiti », que j’expose pour la première fois mais ma peinture sur toile ou autre support est bien antérieure. J’adore peindre quelle que soit la surface ou le support !

Globalement, quelles sont les différences entre tes œuvres de rue et tes toiles ?

La taille et la manière de montrer mon sujet. Les murs peints doivent être visibles de loin tout en gardant une force graphique lorsque l’on se rapproche. Une toile est avant tout une œuvre qui a pour vocation d’être partagée avec son futur acquéreur dans un lieu clos. Le format est une des contraintes de la création, que ce soit un mur ou une toile. A chaque contrainte, une réponse artistique !

Fresque par Lélé et Tarek à la Crazy Factory de Rennes

Quelles sont tes étapes de création en général ?

Une idée ou une envie me vient à l’esprit puis je me mets à dessiner durant des mois et des mois avant de passer à la toile (parfois sur un mur avant). Je n’improvise jamais même si parfois je peux donner cette impression. Le travail constant est à la base de ma création.

Veux-tu nous présenter un de tes tableaux en particulier ?

Red Bean (acrylique et poscas sur toile de lin brut, 2018)… Cette toile qui est disponible chez Superposition est une de mes préférées dans la Série Campbell’s 2.0.

Red Bean, une peinture sur toile de Tarek

Comment l’as-tu pensé, ce qu’il représente, les techniques utilisées ?

J’avais envie depuis longtemps de reprendre certaines images du Pop art pour les détourner et les repeindre à ma manière : les Campbell’s de Warhol m’ont toujours fasciné, je ne sais pas pourquoi mais c’était quelque chose qui me parlait depuis longtemps. Le surréalisme et le mouvement Dada sont également des sources d’inspiration pour moi. Pour le coup, peindre une « Soup » en y intégrant des éléments Dada et surréaliste était une évidence pour moi. Cette toile est en lin brut et j’ai commencé à l’acrylique la base de la conserve puis je suis revenu aux poscas pour le reste. Elle est à part dans cette série !

Quel est le support qui te ferait rêver et que tu encore n’as jamais peint ?

Un container à peindre en entier. Cela me ferait plaisir !

Tu es très productif en terme quantitatif : cela t’aide-t-il à créer avec moins d’entraves ?

On me pose parfois cette question et ma réponse est toujours la même : je suis productif car mes années de pratique intensive dans la bande dessinée m’ont appris à avoir cette rigueur du travail quotidien. La quantité est forcement liée au fait que je travaille tout le temps au lieu de me poser de mauvaises questions et feindre la souffrance dans mon processus créatif.

Fresque par Lélé et Tarek à la Crazy Factory de Rennes

Avec plus d’automatisme peut-être ?

Oui et non… Quand je dessine ou je peins, je suis conscient que je ne suis qu’un intercesseur entre notre réalité et le monde des Principes. Pour cette raison, les moments où je suis en train de peindre me déconnectent de l’espace-temps dans lequel nous vivons. C’est un des mystères de notre pratique mais encore faut-il en avoir conscience !

Dans la vie, tout t’inspire. Dans la peinture, tu nous parlais de la manière de travailler de Picasso. Et dans les arts urbains, qu’est ce qui t’inspire ?

Dans le graffiti, j’ai eu la chance de vivre les débuts de ce mouvement en France comme acteur et comme témoin. Steph et Meo (repose en paix) des COP m’ont influencé quand j’étais plus  jeune tout comme Bando qui est un virtuose de la lettre. Jonone, Skki et Ash des BBC ont également été des artistes urbains importants pour moi : pour la couleur, l’utilisation de la bombe et du posca. J’ai fréquenté tous ces artistes et certains étaient même des amis : c’est une chance incroyable !

Tu veux nous parler de la dernière chose qui t’as accroché, livre, peinture et film ?

Un livre de Michel Lorblanchet sur l’art pariétal (Naissance de la vie aux éditions du Rouergue) : l’auteur est un spécialiste de l’art rupestre et dans cet ouvrage il nous propose une analyse très pertinente de cette pratique picturale qui est à l’origine de ce que nous sommes. L’art, c’est la vie.

En peinture, je dirais deux œuvres d’Olivier Nestelhut qui partage mon atelier avec Mat Elbé, Karine Nicolleau et Léa le Guyader. Il a peint deux grands formats que je vais terminer : ce seront deux nouvelles collaborations, après une initiale ayant pour thème le jazz qui a été vendue ! La première est axée sur Notorious big et la seconde sur Method man.

Un film sur le début du communisme : Le jeune Karl Marx.

Tes œuvres reprennent souvent des symboles issus de la culture populaire, comme les « Campbell’s Soup Cans », cela représente quoi pour toi ?

La pop culture (et sa variante artistique, le Pop art) fait partie de mon univers : j’ai grandi avec la bande dessinée, le graffiti, la publicité et les films des années 80… Dans ma peinture, c’est arrivé tout naturellement parce que toutes ces images je les avais dans la tête. Je suis même devenu auteur de bande dessinée (rires) !

Tableau issu de la série Pop Art de Tarek

Tu as réalisé une série Pop art : qu’est ce qui t’as amené à ce mouvement ?

La BD et le graffiti ont été les deux chemins qui m’ont poussé à mieux connaître ce mouvement artistique. Les comics que je lisais ont nourri la peinture pop de certains peintres américains et anglais. Le graffiti m’a fait découvrir Basquiat et Keith Haring, deux artistes que j’apprécie beaucoup. Toutes les routes que l’on empruntent dans sa vie nous mènent à un endroit qui n’est, au final, que notre véritable personnalité. Quand on peint, on prend conscience de cela assez tôt.

Quel est ton dernier projet en date ?

J’ai peint l’extérieur et la cour d’un grand magasin à Rennes avec Lélé et l’intérieur avec Mat Elbé, au mois de juillet dernier. Puis lors des journées du Patrimoine, les visiteurs du Fort ont pu découvrir le couloir que j’avais peint. Et j’étais passé vous voir à Superposition quelques temps avant ce bel événement où j’ai pu rencontrer le public, dans une salle où j’exposais des œuvres et dédicaçais des BD.

Fresque par Tarek à la Crazy Factory de Rennes, ainsi que Lélé – en haut à gauche –

Où est-ce qu’on peut te retrouver ces prochains mois ?

Pour commencer, j’invite les amatrices et amateurs d’art à visiter le shop de la galerie Superposition dans lequel ils trouveront de belles œuvres à offrir en cette fin d’année.

Bandes dessinées
Mad Tsar par Tarek et Lionel Chouin

J’ai deux BD qui vont sortir en cette fin d’année, Mad Tsar (Lionel Chouin au dessin) au Canada et aux Etats-Unis chez mon éditeur Black Panel Press et la seconde chez Green Moon Comics, mon éditeur italien, est la version italienne du Corsaire du Roy (dessin de Vincent Pompetti) s’intitulant Il Corsaro. Sinon, je suis dans trois livres d’art urbain qui sont sortis ces derniers mois : Street art. Les arts urbains en Bretagne (Ouest France, 2020), Guide du street art Paris (Alternatives, 2020) et Divers city (Hachette, 2020).

Un nouvel article à lire dans Monokrome, un magazine culturel algérien, dans lequel la journaliste aborde Paris tonkar (1991), Paris Tonkar magazine, Tartamudo éditions, ma peinture, l’art urbain et la bande dessinée : https://issuu.com/monokromemag/docs/monokrome_2007

Extrait du magazine Monokrome

Vente aux enchères au profit de l’ONG Humy : Solidarit’Art est une vente aux enchères dont les bénéfices permettront de financer les projets de Humy. Elle aura lieu à l’adresse suivante : Le Patio, 10 rue Jean Macé (75011 Paris). Exposition des œuvres samedi 5 et dimanche 6 décembre de 14h à 19h. Une de mes toiles sera mise en vente à cette occasion et deux autres en vente directe.

Suite au second confinement, de nombreux commerces, librairies et galeries ont choisi de réagir en proposant le Click & Collect. Kykart galerie propose de commander mes BD et des œuvres qui étaient disponibles lors de l’exposition Tarek et Mat Elbé qui venait juste d’être prolongée. La galerie se trouve au 132 bis rue Jean Jaurès à Maisons-Alfort : pour commander ou demander le catalogue des œuvres disponibles (06 64 80 36 89 / kykartsdarts[@]gmail.com).

Exposition de Noël à l’Atelier 17 : L’espace galerie de l’Atelier 17 a ouvert ses portes depuis le 1er décembre et vous pourrez y acheter certaines de mes œuvres tout comme celles d’autres talentueux artistes comme Sophie Neury ou Vincent Pompetti. Changez de manière de voir le monde et entrez dans le monde de l’art à travers une œuvre ! La galerie se trouve au 17 Passage d’Allier à Moulins dans l’Allier (+33 9 80 91 46 09).

Et enfin un événement dans mon atelier ! Le marché de Noël à l’Atelier sera ouvert dès le 28 novembre sur rendez-vous et en Click & Collect jusqu’au 31 décembre. Le catalogue sera disponible sur notre page Facebook, notre site et, sur demande, on peut vous l’envoyer. L’Atelier propose des BD et des œuvres (photos, pochoirs, illustrations, customs, peintures…) de Karine Nicolleau, Léa le Guyader, Olivier Nestelhut, Mat Elbé, Vincent Pompetti, Tarek et des invités comme Nathalie Molla, Yarps, Lélé, Sophie Neury, Gwendal Lemercier… L’atelier /// 24 rue de Chateaudun à Rennes et pour commander ou demander le catalogue des œuvres disponibles : elzar58@[g]mail.com.

Un grand merci Tarek !